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15/08/2010

Huîtres de Fort-Royer, Ile d'Oléron, site Ostréicole et Naturel : dégustation exceptionnelle

fort-royer-degustation-huitres-oleron-cabanes-ostreicoles.jpgPas de résidences secondaires ici, ni de cabanes d’artiste, encore moins de restaurants. Si vous venez pour le spectacle, ce sera celui de la nature, entre bancs de sable et de vase, marées, vent et soleil. Fort-Royer est un véritable site ostréicole, sans faux-semblant, et une réserve naturelle qui s’étend de Boyardville au Château d’Oleron. La réserve présente notamment d’immenses bancs de sables, reposoirs et garde-manger précieux pour les oiseaux notamment au cours de leur migration. Les spécialistes ont répertorié sur Fort-Royer 285 espèces d’oiseaux différentes. La terre avance ici sur la mer. Le banc de sable a cent ans. Une dune se forme à l’abri de laquelle une vasière s’étend.

fort-royer-degustation-huitres-oleron-cabanes-ostreicoles-2.jpgDe jeunes actifs passionnés ont fondé l’Association du site ostréicole et naturel de Fort-Royer.

Leur objectif : reconstruire le village de baraques à l’identique, et lui garder son cachet ostréicole.


Ce travail a une grande valeur car Oléron est historiquement clef en France dans l’élevage de l’huître. En effet, l'huître plate, du nom de « Ostrea edulis », dite « Marennes» a fait la renommée du bassin pendant plusieurs siècles, et était même la seule espèce d'huître cultivée en France jusqu'au milieu du XIXème siècle.

 

fort-royer-degustation-huitres-oleron-cabanes-ostreicoles-3.jpgMais l’histoire de l’huître commence par sa pêche à pied, il y a des millénaires. Les Grecs les mangeaient confites et gardaient leurs coquilles pour voter avec. Les Romains, très grands consommateurs, ont eu besoin de les élever en masse. Ils utilisaient pour cela des fagots. Des cures de remise en forme à base d’huîtres étaient organisées, et les dégustations prenaient toutes les formes : crues, marinées, salées, farcies, cuisinées.

 

En France, l’huître était un mêt réservé aux rois qui en engloutissaient jusqu’à douze douzaines en une soirée !

 

Et de ces premiers temps de culture, le travail est resté encore très artisanal, peu mécanisé. Avant d’arriver dans l’assiette, l’huître est manipulée en moyenne une vingtaine de fois !

 

fort-royer-degustation-huitres-oleron-speciales-de-lauzes.jpgL’huître plate a donc fait la réputation du bassin de Marennes et se retrouve en Bretagne : la «  Belon » et également en méditerranée : la « Bouzigue ». Mais la maladie de 1920 a décimé l’huître plate. Les creuses au goût très différent – portugaises, originaire d’Amérique du sud, ou «Crassostrea angulata » – sont de très grande qualité. Elles ont marqué les 50 ans d’âge d’or de l’huître. Choisies à la place des plates, leur prolifération a saturé le bassin et enclenché à partir de 1968 leur dégénérescence faute de nourriture. A partir de 71, avec l’aide de l’Etat, les éleveurs ont basculé sur une huître japonaise creuse « Crassostrea gigas » pour atteindre jusqu’à 65000 tonnes de production sur le bassin de Marennes d’Oléron. En 1978, pour comparaison la quantité de mollusques plats encore commercialisés n’était que de 50 tonnes. Comme le relate un rapport de l’Ifremer, « les ostréiculteurs marennais qui ensemençaient leurs claires au printemps avec des huîtres plates âgées de 2 a 3 ans provenant de Bretagne éprouvent des difficultés d'approvisionnement, du fait de l'épizootie due à Martelia refringens qui sévit chez Ostrea edulis dans de nombreux centres ostréicoles bretons ».
Après les déclins de la plate et de la creuse portuguaise, nous connaissons probablement le troisième déclin majeur, celui de la creuse japonaise « gigas ». Un virus se développe et tue aujourd’hui les huîtres juvéniles de 1 an et occasionne la perte des trois quarts du parc. L’Ifremer étudie le virus qui profite semble-t-il d’une fragilité génétique (pas de système immunitaire) de l’huître.

 

Autour de la planète, 300 espèces ont été recensées dont encore une centaine en vie. Des pistes semblent s’ouvrir sur une variété du Brésil, mais les tests ne sont pas terminés.

 

Les jeunes ostréiculteurs de Fort-Royer (ils sont cinq actuellement) ont décidé de relancer le travail – de la creuse japonaise « Crassosterea gigas » pour l’instant - de la forme, de la taille et du goût. Il faut avoir en tête que seules 1192 cabanes sont encore en activité sur les 2500 que comptait le bassin il y a vingt ans.

L’élevage se fait au cœur du parc, l’affinage en claires et l’expédition dans des établissements contrôlés. La Marenne d’Oléron à 4 ans à maturité contre 3 ans voir moins ailleurs. La taille la plus recherchée est la moyenne et le challenge consiste à l’obtenir pour le rush de commercialisation entre décembre et janvier. Si elles sont trop petites, les pauchons qui contiennnent les huîtres sont dédoublées et on s’assure qu’elles soient toujours dans l’eau pour se nourrir en continu. Si elles sont en avance de croissance, on double le nombre d’huîtres par pauchon et on les rapproche de la terre pour qu’elle soient moins souvent dans l’eau.

A l’état naturel, les huîtres s’allongent car collées les unes aux autres, elles disposent de peu de place. Entrechoquées dans les pauchons – on détruit la dentelle de croissance de la coquille – elles s’arrondissent et prennent une forme propice au développement de la chair.

 

L’huître est un mollusque fascinant. Songez qu’en une heure de temps elle filtre environ 7 litres d’eau de mer. Elle change de sexe chaque année et sa laitance d’été est constituée par les cellules reproductrices mâle ou femmelle. Dès que l’eau passe les 18°C, les huîtres libèrent leur laitance. Les petites huîtres naissent une fois attachée à un support quelconque (pierre, métal, plastique) et crée leur première coquille en 36 heures. Au bout d’une semaine, elle a la taille d’un grain, au bout d’un mois celle d’une pièce de 1 euro. Elles peuvent vivre jusqu’à 20 ans ! On les appelle alors les « galoches » pour les huîtres plates, et les anciens ont l’habitude de les cuire dans la cendre de la cheminée.

fort-royer-degustation-huitres-oleron-speciales-de-champs-de-vase.jpgCertains élevages achètent des petites huîtres nées en écloserie qu’on fait s’attacher sur de la micro-brisure (une micro-support pour une seule larve d’huître). Les huîtres nées en écloserie sont reconnaissables à leur « bec » (tête de canard) en pointe d’huître. Elles représentaient il y a peu 50% des huîtres élevées mais le virus qui frappe actuellement l’huître « japonaise » attaquant spécifiquement les juvéniles, le recours aux écloseries est freiné.
Et comme un virus ne suffit pas, les prédateurs traditionnels de l’huître sont également nombreux : l’étoile de mer qui se fixe sur la coquille, fatigue l’huître et insère son estomac dans la coquille pour la dévorer. Les bouchots – pieux d’élevage de moules – ont été décimés cette année par les étoiles de mer (à raison de 60 centimètres par bouchot soit 15 kilos de moules). Les raies quant à elles écrasent dans leur mâchoire les huîtres pour les manger. Les dorades aux dents assérées s’en régalent également et les crabes les attaquent à la pointe du bec pour couper leur muscle.

Enfin, le plus redoutable est le murex ou « bigorneau perceur » (coquillage en forme d’escagot pointu) originaire d’Asie. Il se pose sur un coquillage comme l’huître et perfore en 30 heures la coquille – trou d’une taille d’une tête d’épingle - avant d’injecter un liquide astrique et d’aspirer l’huître.

 

Mais revenons à l’élevage et surtout à l’affinage qui est la marque de fabrique des Marennes-Oléron. Le bassin de Marennes-Oléron compte 2500 hectares de parc et 3500 hectares de claires dans lesquelles on cultive le plancton. La mer monte, le chenal se remplit, les claires à leur tour, puis la mer se retire et l’eau baisse jusqu’au niveau du tuyau qui règle le niveau de la claire. La navicule (en forme de navette) se multiplie dans les claires puis quand elles saturent la claire, elles dégénèrent simultanément en libérant un pigment bleu : le bassin devient bleu marine, noir. Les huîtres filtrent ce pigment bleu et verdissent. Cette phase marque l’affinage, le travail en bassin mais ne change rien à la qualité.

Les huîtres sont disposées à raison de 20 par mètre carré pendant un mois minimum : on obtient ainsi les fines de claires. A dix par mètre carré pendant 2 à 3 mois, on peaufine les spéciales de claires, les plus chères. Il est vrai que l’on peut trouver des fines ou spéciales de mer car élevées dans des zones où il y plus de plancton (une rivière ou un courant par exemple) et où les huîtres y deviennent donc plus charnues.

Les claires sont entretenues - recreusées - par tiers pour ne plus y retoucher pendant 5 ans (la première année qui suit l’entretien correspond à une jachère). La vase est pleine de petits mollusques, crustacés tués par 3 semaines de plein soleil et qui vont enrichir en matière organique et sels minéraux la claire. Cela assurera l’explosion du plancton et particulièrement de la navicule. L’été, trop chaud, n’est bien sûr pas propice à l’affinage.

 

fort-royer-degustation-huitres-oleron-cabanes-ostreicoles-claires.jpg

Claires dites « gralées » : le sol est craquelé

 

fort-royer-degustation-huitres-oleron-speciales-de-claires.jpgLes huîtres et leurs terroirs déchaînent la poésie gastronomique. Certains parlent de goût de « terre marine », de « merroir », de noisette. Il est vrai que les huîtres affinées en claires et élevées en pleine mer ont des goûts radicalement différents.

Je vous conseille tout particulièrement la dégustation des spéciales de Fort-Royer, non triploïdes donc non stériles, de préférence en pleine saison, c'est-à-dire entre octobre et mars. 

 

Contact :
Association du site ostréicole et naturel de Fort-Royer
B.P. 43
17310 Saint-Pierre d'Oléron
Tél/Rep/Fax : 0546470648

14/01/2008

Charlie et la chocolaterie, Tim Burton

925577b6ac25aff882291d7f72f6774d.jpgWilly Wonka est un personnage esthétique. Il défie les perspectives, libère les couleurs et canalise mal son imagination.

Sa froideur relationnelle, il la compense par un goût immodéré pour le chocolat. Vous savez, cette gourmandise royale qui libère des hormones anti-déprime.

 

Billy est tout l'inverse, ce jeune garçon a la chaleur et solidarité familiale chevillées au corps.

Le chocolat pour Billy, c'est une tablette par an ... pour son anniversaire.

Les perspectives, il les contemple mais sa pauvreté l'en tient à l'écart. Mais ce n'est pas un problème.

La vie n'est pas dans les perspectives et l'argent.

 

La vie de Willy a la couleur de son usine, grandiose et triste à la fois. Et puis, que deviendra la fabrique géante une fois son propriétaire disparu ?

 

Willy organise un jeu mondial : un must de marketing relationnel. Cinq "golden tickets" sont dissimulés dans cinq tablettes de chocolat Willy Wonka et dispersées de par la planète.

Les cinq heureux élus pourront visiter cette étrange usine et un élu aura le présent suprême !

 

S'ensuit un délire artistique sublime entre excentricité colorée et vengences exquises.

 

Un film à la fois beau, moral, asymétrique, esthétique, déconcertant et tout à la gloire de ce maestro génial qu'est Johnny Depp.

Un rictus, un sourire, une démarche, Johnny inonde l'écran de sa présence gourmande, fascinante, telle une hormone libérée par le chocolat.

 

Mon appréciation : 9/10. A voir en famille !

 

07/01/2008

Dialogue avec mon Jardinier, Jean Becker, Henri Cueco

894e766d3ff3e50ed78317ddc3921f4f.jpgSi vous devez pleurer à la fin d'un très beau film, il faut le faire, sans retenue, comme sur les accords du blues du siffleur.

 

Provincial, j'ai connu tout petit la vie des campagnes françaises, ardéchoises et lozériennes en l'occurrence (les patois et expressions typiquement locales, les fruits et légumes de potagers, aux odeurs puissantes, aux goûts intenses, les chiens de garde ou d'accueil, comme vous préférez, petits roquets, blancs et noirs ébouriffés, les champignons, les lapins cuits au sang accompagnés de pommes de terre bouillies, les habits de travail taillés dans les mêmes tissus démodés,..). C'est une belle histoire française, enracinée dans la langue, les traditions, l'amitié, la solidarité, la nature, la vie simple, le temps qui passe avec lenteur et bonheur.

 

La langue, c'est un français de relief, qui dessine des images dans la tête, avec toutes leurs dimensions, qui fait naître des souvenirs, des odeurs, des sourires. Henri Cueco a su cueillir et restituer cette beauté du patrimoine français, sans raccourcis, sans laque, sans édulcorant ou colorant.

Quand j'entends "Dujardin" - surnom du personnage interprété par Jean-Pierre Darroussin - expliquer à "Dupinceau" - Daniel Auteuil - pourquoi il enlève ses bottes avant d'entrer dans la maison, je comprends le dialogue dans toutes ses dimensions. Appréciez plutôt : "la terre reste incrustée dans les semelles et avec le chaud dans la cuisine, ça laisse des gauffres".

Cueco concentre ici à la perfection tout l'humour du parler vrai de la campagne française, où l'on est heureux de vivre, quelles ques soient les vicissitudes de la vie.

 

Dupinceau - surnom de l'artiste peintre - fuit la superficialité parisienne, ce que j'appelle parfois la "tendancitude", the "last vibe"..

Il s'installe à la campagne suite à la disparition de ses parents et son début de divorce et décide de faire renaître le jardin de ses parents autrefois si beau. C'est la priorité, et en particulier le potager, qui l'inspire, lui donne les couleurs, les senteurs, la beauté des alignements, la disparité des espèces. Il engage un jardinier pour réaliser ce travail et retrouve un ami de tendre enfance, local pure souche.

La complicité et la convivialité vont renaître comme s'ils s'étaient quittés hier, autour d'un petit coup de Chirouble. Et dans cette vérité, Dupinceau explique qu'il a choisit de suivre ses envies, de se réaliser pour ne pas ré-éditer l'erreur de son père, pharmacien à vie et fidèle aux règles matrimoniales imposées par sa femme : "mon père lui, il n'aurait pas osé dire non. Ses aspirations d'artiste, il se les ai gardées.."

 

Et Dupinceau poursuit en expliquant à son ami qu'il peint ce qu'il ressent en regardant et non ce qui se voit : "je peins moins ce que je vois que ce que j'imagine". Dujardin après un réflexe de bon sens "c'est quand même étonnant de sortir dehors pour peindre ce qu'on ne voit pas", interprète sur son registre, le vécu : "l'océan, on le voyait sans le voir, mais à l'odeur on le devinait". La maturité de l'artiste parisien est étourdissante, et fait écho aux Rousseau et Chateaubriand en référence au bonheur : "avoir la volonté de bien prendre son temps et de regarder autour de soi".

Mais le bonheur de Dujardin est dans le prévisible, la douce routine, le temps cyclique des bons moments, qui touche doucement à l'ennui : "ça me fait bizarre de faire dimanche au milieu de la semaine". Dupinceau adapte ses activités à son envie : "laisse-toi vivre, merde !".

Dujardin reste dans le registre du vécu : "la peau d'une femme, c'est des choses qu'on voit sans dire qu'on les regarde". Dupinceau conclue brillemment sur le pourquoi et le comment lire une oeuvre d'art : "aucune envie de t'expliquer ; ressentir ! y a des profs pour expliquer !"

 

Le temps du lendemain, Dujardin le prévoit à coup sûr. Quand Dupinceau lui demande une explication, ce qu'il faut regarder dans le ciel : "tu gardes tes secrets sur le temps ?", la réponse est à propos "tu ne dis pas ce que tu regardes quand tu peins".

 

La vie joue ici dans les couleurs réelles et les sentiments entiers : Dujardin n'aime pas l'électricien choisi par Dupinceau, mais quelques jours plus tard, on apprend qu'il lui reconnaît de bien travailler. On est loin du fleuret moucheté faux-cul de la capitale, le politiquement correct mortifiant. Ici, on se met parfois "deux, trois poignées d'beigne sur le museau". Et lorsque l'on parle de salade, on entame un sujet à la diversité immense : "il y en a autant de variétés qu'un curé peut en bénir, fils de loup, tu vas pas être déçu".

Et le potager, c'est l'expression de l'amitié, du travail bien fait, de l'art dans la nature, la main de l'homme accompagné du mouvement de la nature. Le cadeau magnifique, c'est un beau légume, élevé avec amour et patience : "demain, je t'apporte un choux-fleur, mais alors, le choux-fleur bichonné, ni poux, ni saloperie !"

 

L'urbanisme est un poison, "oh la la, vous êtes combien à rouler en même temps ?". Le bonheur n'a pas besoin de tous ces artifices et Dujardin en est sûr : "vivre en ville rend fragile".

 

Mais le bonheur est l'affaire des mortels et les belles histoires ont une fin. Aussi, vaut-il "mieux mourir d'un coup, on arrive au ciel en meilleure forme" remarque Dujardin.

Il profite donc de ces moments, allongé au milieu des rangs de poivrons et de haricots car jardiner, c'est sa vraie vie. Il est au sommet de sa passion, à l'apogée de son art : "J'ai jamais fait des légumes aussi beaux, on dirait que ça leur plaît de voir leur jardinier couché avec elles".

 

Messieurs Cueco et Becker, je vous remercie pour ce bonheur d'une heure cinquante. L'un des plus beaux films qu'il m'ai été donné de voir !

 

Mon appréciation : 10/10 ! 

01/01/2008

Sideways, d'Alexander Payne

29ae92a93e3f7de2dd2b5958c0671015.jpgEn fait, j'aime les histoires d'amour sensibles, qui se découvrent avec finesse, au travers d'une compréhension intuitive commune, des regards, d'une dégustation, d'une complicité qui devient totale et qui ne se sert des mots que par défaut. J'aime la lenteur des bons instants, l'ambiance jazzy et feutrée d'un lobby chaleureux, la lumière intense et déclinante d'une balade en décapotable au milieu des vignes, les dégradés de marron et de vert d'un casse-croûte en campagne.

 

Je déteste les films lisses et bien pensants, les univers esthétiques parfaits, le goût mondial, la force tranquille des héros intouchables. Je déteste la cuisine industrielle, la sursaturation sucrée ou salée, les vins aux goûts de concentrés arômatiques.

 

Sideways est une histoire banale, une bulle de vie, mais une tranche de vérité dans un monde hanté par les névroses modernes. La faiblesse de l'autre se trouve souvent à une situation de là, un fait inattendu qui vous fait "péter les plombs" au sens propre des mécanismes électriques du cerveau.

 

Miles, joué par Paul Giamatti, est un pauvre type, selon toute apparence, du moins le pense-t-il. Prof qui s'ennuie lui-même, écrivain jamais publié, physique lambda, fauché comme les blés.

Jack est son ami, du moins a-t-il ce statut depuis un partage de chambre comme étudiant à la fac avec Miles. Jack, interpreté par Thomas Haden Church, est un acteur de série B raté qui n'émeut par son talent que les serveuses de restaurant nostalgiques.

 

Miles et Jack ont décidé de s'éclater. Une semaine de bonheur dans ce monde ingrat. Miles aime le pinot noir, Jack est un dévoreur de vie et de femmes insatiable. Ils sont l'eau et le feu, mais leur médiocrité terrestre les rapproche. Et c'est bien ce qui peut aussi les transcender. Trouver dans une dégustation, une balade, une discussion, le fond des sens, la beauté de la vie.

Parfois, c'est tout à la fois. Comme ce passage dans les rangées de pinot noir, ce cépage que Miles dit dur à cultiver, à la peau fine, au beau tempérament, qui mûrit très vite. "Ce n'est pas un survivant comme le Cabernet !". Le pinot noir, poursuit Miles, ne s'acclimate qu'à de petits terroirs bien spécifiques. Seuls les plus patients et les plus soigneux des viticulteurs pourront l'amadouer. Miles est un être exceptionnel, capable de saisir l'essence même de ce beau cépage aux fruits rouges subtils, anciens.

"Le cabernet est plus puissant, plus prosaïque". On en viendrait à le trouver vulgaire ! ;-)

Maya - Virginia Madsen - répond au diapason. Elle aime à penser à la vie du vin. "Il évolue sans cesse". Une bouteille est en constante évolution jusquà son apogée, puis elle entame un lent et inexorable déclin.

 

Et les deux - Maya et Miles - ont cette beauté rare que la folie exprime : "le jour où on ouvre un Cheval Blanc 1961, c'est l'occasion !" Quel bel hymne à la vie, quel bras d'honneur aux conventions castratrices !

 

Le goût mondial prend sa part quand Miles explique à Jack son dégoût de la seconde fermentation californienne du Chardonnay.

Miles prend le temps d'initier Jack à la dégustation, l'observation de la densité des couleurs, le flairage, l'oxygénation. Et les personnalités sont brutes et simples. La question de Miles à la fin de la séance de dégustation est mémorable : "tu maches du chewing-gum ?!!"

Le relief n'est pas seulement dans le verre : ce vin "est plus serré qu'un cul de nonne, mais très fruité !"

Les médaillons de porc saupoudrés de truffe noire participent à un enchaînement génial : withcraft winery en pinot noir bien sûr, seasmoke rouge dans le cépage que vous savez, Pommard et enfin Richebourg.

 

J'apprécie Miles car il joue au golf aussi bien que moi, il sait commander un "croissant aux épinards", attaquer avec Jack des joueurs gougeats trop pressés en moulinant leurs clubs au-dessus de leur tête et en poussant des cris terrifiants tels des hommes des cavernes distingués du 21ème siècle mais aussi déguster un beau verre de vin au pied d'un grand arbre sous un coucher du soleil aux tons dorés pastel.

01/07/2007

Ratatouille

f905533ce4d2258363142b34dedc4801.jpgLes français aiment les américains depuis Napoléon. Ces derniers nous le rendent bien, fascinés qu'ils sont par la finesse de notre culture et par notre art de vivre.

 

Ratatouille est une merveille, feu d'artifice de couleurs, de sensations et d'intuitions sensibles. Exit les Disney aux formes anguleuses, aux synthèses synthétiques, aux chutes tarte à la crème entendues. Pixar rafraîchit Disney avec un ancrage dans la beauté du réel, dans l'imperfection de la nature humaine, dans sa simplicité, sa capacité à se surpasser, à se sublimer.

 

La cuisine est un art populaire. Nous avons tous déjà été un héros du quotidien ordinaire, en accomodant un plat, une boisson, un arrangement magique pour le palais, les yeux et finalement l'évasion de l'esprit. Auguste Gusteau, le chef étoilé d'un très grand restaurant parisien l'affirme par la voix délicatement distinguée et tanée de Jean-Pierre Marielle : "Tout le monde peut cuisiner". Et le jeu d'animation fait le reste pour projeter un rat passionné de goût dans une quête folle, de toques en cuivres de casseroles, de pièges en reconnaissances précieuses. Car ce métier est un sacerdoce ingrat, un challenge de chaque jour, où l'artiste remet sa couronne en jeu perpétuellement et avec délice.

 

f8123315d93809ea24051cb3d28ef553.jpgLa cuisine est un art vivant, organique, éphémère, qui se nourrit d'innovations, d'accords inédits, de joyeuses erreurs et de reprises ancestrales. Sous l'impulsion de son "petit chef" le rat Remy, le jeune Linguini - animé par Thierry Ragueneau - va rejouer avec intuition la madeleine de Proust et éveiller le sixième sens de ses convives, la mémoire temporelle du bonheur enfantin. Comme un vulgaire carré de chocolat de cuisine devient une sensation intense au terme d'une longue randonnée de montagne, les plats les plus simples peuvent trouver une dimension émotive et sensorielle décuplée lorsque repris et ré-inventés par un tour de main de génie.

 

Paris est un écrin naturel à ces expressions vivantes. On reconnait des quartiers, des endroits comme les berges pavées du pont Alexandre III, une fontaine empruntée au carrefour de la rue Jean Gougeon. Les dessins sont précis, chaleureux, très parisiens : une version Amélie Poulain de dessin animé. Christophe Hondelatte narre sur un ton journaliste - le sien - les aléas de la renommée publique des grands chefs soumis à la critique acerbe de scribes parfois frustrés face à tant de talent et de sacrifice passionné.

 

8d65445ff0d25a223ffbfc0e5f9cad9e.jpgMais avec ou sans étoile, le bonheur est dans l'assiette !

Dans cette pincée de safran pour laquelle Remy risquera sa vie. Dans cette feuille de basilique et ce brin de romarin qui font d'une omelette, un plat de gala !

Comme certains vins de table surpassent des crus classés, une brasserie peut envoûter ses convives, les surprendre, encore, et toujours, avec la liberté d'un américain à Paris !

Ce spectacle est un must, qui touchera également les plus grands mais pas seulement par le dessin. L'approche gastronomique est juste, la difficulté de la profession bien retransmise, les bonheurs simples de son alchimie frappants. Je vous conseille de savourer ce spectacle en famille, avec attention, tendresse et émotion.

 

Disney signe un de ses plus beaux chef d'oeuvre, je pèse mes mots.

 

A voir absolument, à revoir absolument, 20/20 !

14/05/2007

Marie-Antoinette, Sofia Coppola

medium_marie-antoinette-sofia-coppola.2.jpgHistoriens et rigoristes s'abstenir !

 

Marie-Antoinette Coppola est une bulle de sensibilité et d'intuition. Un rêve en rose et bleu, clair, frais, adulescent dans un écrin nommé Versailles. Le poids de l'Histoire contre la légèreté de l'âge, des envies et du cours de la vie. La raison politique contre la beauté, le jeu et la gourmandise.

 

Kirsten Dunst est animée d'une beauté distinguée, d'une maturité précose qu'elle transmet brillamment à cette grande femme et d'un amour simple de la vie qui émane de tout son être.

Distinguée et de grande classe quand elle se fait dévêtir de façon ridicule au passage de la frontière française à l'âge de 14 ans pour ne plus jamais revenir en Autriche, distinguée et amusée quand on la dévêtit à nouveau pour l'habiller à chaque lever avec les femmes de rang, distinguée et royale lorsqu'elle salue avec une douce méprise la première prostituée de France, distinguée et courageuse à la veille de la prise de Versailles, distinguée dans l'Histoire lorsqu'elle quitte Versailles en carosse pour la dernière fois.

 

La pâle personnalité du roi n'ajoute rien au contraste de cette tempête de vie qui déboule dans un univers corseté et rigide. Il fallait oser des tons en pastel de rose et bleu clair, une musique mi-classique et résolument moderne, rythmée, des gâteaux énormes et drôles, une garde-robe extravagante et tellement classique. Sofia l'a fait pour nous transmettre sa flamme, son amour, sa passion.

Lost in Translation a poussé Scarlett Johansson au coeur d'un Japon urbain hystérique et déshumanisé, Marie-Antoinette installe Kirsten Dunst dans un Versaille politiquement décadent insouciant des guerres et de la proche révolution qui verra sa fin.

Le parallèle est saisissant et les deux femmes sont troublantes de beauté et de grandeur.

 

Marie-Antoinette est une femme, une enfant, une adolescente ; elle est espiègle, enjouée, généreuse ; elle est humaniste, raffinée, intelligente ; elle est élégante, gourmande, innovante ; elle est réaliste, imaginative, responsable.

 

Marie-Antoinette est 2 heures et 3 minutes de discussion avec votre coeur.

30/04/2007

Bouchons de vin par Michel Girodeau

Mon ami Michel Girodeau est photographe amateur ... et talentueux !

medium_michel-girodeau-bouchons-vin.2.jpg
Cliquez pour agrandir - Copyright Michel Girodeau -

07:10 Publié dans A voir | Lien permanent | Commentaires (5) | Tags : bouchons, vin, girodeau, photo

04/06/2006

Lost in Translation, Sofia Coppola joue échec et mat avec votre sensibilité

medium_lost-in-translation.jpgJ'ai la - mauvaise - habitude de dire que si un long métrage ne vous atteint pas dans les quinze premières minutes, il ne vous atteindra plus. Lost in translation est un film d'une finesse inouïe qui parle en direct à votre coeur, votre âme, votre sensibilité. Le rythme est lent et frôle l'ennui, celui là même que les écrivains romantiques du XVIIIème siècle (et début XIXème) comme Chateaubriand attendent pour sonder le vrai bonheur.

Ce film se déguste, avec patience et détail, avec douceur et intuition, avec la pensée, par les attitudes plus que par les dialogues.

Car tout est vulgaire, superficiel et absurde dans la brutalité mécanique de la société japonaise moderne. Ce pays de mauvais hasard où se retrouvent quelques occidentaux en transit, entre deux missions et deux avions. Les personnages sont faussement simples et ressortent magnifiquement dans un contraste de sur-consommation aliénante. Les pépites cinématographiques se succèdent, Sofia nous capte avec classe et enchaine les clins d'oeil géniaux. Je retiens la scène de la piscine où Bill Murray fait ses longueurs en compagnie d'un groupe d'aqua-gym motivé "à bloc". Les respirations de Bill alternent des plans aux sons forts et clairs avec nouvements de bras du groupe et les plans à sons sourds avec gigotements ridicules des jambes du même groupe. Que dire des multiples scènes d'over-dose technologique ou de zapping télévisuel monstrueux. Les programmes nippons semblent pires que ceux des chaînes allemandes.

Et tout ceci s'enchaine au Japon plus qu'ailleurs dans un rythme déshumanisé, autonome, qui broie les hommes et les âmes.
Egarés, ébêtés dans ce mouvement perpétuel sans sens, deux êtres se croisent sur une fréquence basse : Bill Murray est un vieil acteur qui tourne une pub aux poses ridicules et aux couleurs d'ice tea aux glaçons de plastique pour le lancement d'un wisky au Japon ; Scarlett Johansson est une jeune étudiante, qui accompagne son mari, adepte de la "branchitude est une fin en soi".
Elle est nature, intelligente, a le charme pur de la jeunesse. Il est fin, poli par la vie et désabusé par la routine.

La suite est un jeu d'esprit, de maîtrise, de bonheur, d'intuition, follement d'intuition.
Les mots sont banals car encore de trop.
Leurs regards vous transpercent.

Scarlett a la beauté du bonheur qu'elle traverse. La présence de l'autre suffit.
Le temps est assassin mais magnifie ces secondes comme autant de jours intenses où la vie n'a pas de prix, où la vie n'a pas de prise.

20/03/2006

Les Boucherts Verts (De Gronne slagtere)

medium_bouchers-verts.jpgNous sommes loin d'Hollywood, des manequins siliconnés, des voitures de sport et de l'hémoglobine vulgaire.
Anders-Thomas Jensen est danois. Il décrit deux seconds bouchers, n'ayant jamais quitté les arrières salles, souvent froides, de la boucherie de leur patron tyranique. Le tableau de ces vies médiocres et vassales semble figé comme les figures aux reflets de gelée de paté de tête de ces deux lambdas de la société moderne. Svend sue au travail, Bjarne rêve d'ailleurs, et ils se retrouvent pour leur barbecue dominical, pour manger... de la viande grillée. La ville est grise et leur banlieue maussade. Vies dignes d'un ciel danois.

Pourtant Svend est ambitieux, taraudé par la volonté de faire quelque chose de son existence, quelles qu'en soient les conséquences. Que pourrait-il vraiment perdre d'aillleurs ?
Les débuts sont catastrophiques jusqu'à ce que leur ancien chef leur lance un défit.

L'art cinématographique est finement manipulé. L'atmosphère et les couleurs vont de paire dans des tons verts grisatres, ternes. Les personnages sont comme tirés d'une bande déssinée. Ils expriment à la perfection leur caractère, défauts, faiblesses mesquines, en fait leur humanité, leur chaleur intérieure, parfois étourdie par leur volonté de changer le destin, souvent tout simplement bonne.
Svend a une chemise à manches courtes et à losanges gris, une cravatte grise trop courte au noeud insignifiant et un pantalon gris-bleu à soufflets sans ceinture. Son front lui mange le visage et son crane chauve à moitié semble le prolonger jusqu'à la perpendiculaire.
Les clients ont le teint vert de gris sous des chapeaux de vieilles ridicules de mauvais goût et des manteaux de vieux tristes comme leurs pensées.

La puissance du film au-delà de l'humour, de la prouesse de réalisation et d'acteurs, réside dans une morale qui manque souvent à nos générations : croire en soi, travailler et faire les choses avec passion. Svend est un fou de boucherie, Bjarne croit suffisamment en lui pour le suivre très loin, le succès n'a besoin d'aucun autre apparat.

Vivre avec passion, croire en soi, faire les choses avec un soucis d'exigence permanente... Film à voir, incontestablement.

08:45 Publié dans A voir, Zorreurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Gastronomie

24/02/2005

Une affaire de goût : un beau film de Bernard Rapp

medium_une-affaire-de-gout.2.jpgJe n'apprécie pas particulièrement Bernard Giraudeau souvent un peu transparent dans des rôles trop classiques pour lui, mais là, chapeau bas ! L'acteur est au zénit de son art et le scénario taillé sur mesure, à la fois fin et délicieusement trouble. Jeu d'esthètes, une affaire de goût voit se cotoyer Bernard Giraudeau, riche chef d'entreprise passionné de gastronomie et Jean-Pierre Lorit dans le rôle de son "goûteur", sorte de bras droit de bon goût, seul à même de partager la sensibilité de son patron.

Cynique et raffiné, le riche homme d'affaires construit au grès des expériences sensibles qui jalonnent l'apprentissage de son "goûteur" un sosie à même de partager toutes ses sensibilités.
Tour à tour complice, consommateur de sensations par procuration et sadique, Bernard Giraudeau alterne les psychologies d'un personnage qui lui colle au physique. Les traits du visage, les dents, le sourire et la démarche traduisent à la perfection un scenario que Gilles Taurand a su travailler en profondeur psychologique à la demande de Bernard Rapp.
On sent un homme désemparé qui a fait le tour de l'argent, du pouvoir et de l'amour plastique et qui ne vibre plus que par l'exigence et la perfection extrêmes des mets de la table et des échanges de l'esprit.
Son dialogue avec le jeune Lorit devient intuitif, fusionnel, intelligent. Mais cette recherche de perfection est-elle raisonnable dans un monde aussi lointain que médiocre ?

Quelle belle adaptation du livre de Philippe Balland. Bravo monsieur Rapp !

PS : ce film a reçu le Grand Prix du festival du film policier de Cognac.

09:30 Publié dans A voir | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Gastronomie