04/06/2006
Lost in Translation, Sofia Coppola joue échec et mat avec votre sensibilité
J'ai la - mauvaise - habitude de dire que si un long métrage ne vous atteint pas dans les quinze premières minutes, il ne vous atteindra plus. Lost in translation est un film d'une finesse inouïe qui parle en direct à votre coeur, votre âme, votre sensibilité. Le rythme est lent et frôle l'ennui, celui là même que les écrivains romantiques du XVIIIème siècle (et début XIXème) comme Chateaubriand attendent pour sonder le vrai bonheur.
Ce film se déguste, avec patience et détail, avec douceur et intuition, avec la pensée, par les attitudes plus que par les dialogues.
Car tout est vulgaire, superficiel et absurde dans la brutalité mécanique de la société japonaise moderne. Ce pays de mauvais hasard où se retrouvent quelques occidentaux en transit, entre deux missions et deux avions. Les personnages sont faussement simples et ressortent magnifiquement dans un contraste de sur-consommation aliénante. Les pépites cinématographiques se succèdent, Sofia nous capte avec classe et enchaine les clins d'oeil géniaux. Je retiens la scène de la piscine où Bill Murray fait ses longueurs en compagnie d'un groupe d'aqua-gym motivé "à bloc". Les respirations de Bill alternent des plans aux sons forts et clairs avec nouvements de bras du groupe et les plans à sons sourds avec gigotements ridicules des jambes du même groupe. Que dire des multiples scènes d'over-dose technologique ou de zapping télévisuel monstrueux. Les programmes nippons semblent pires que ceux des chaînes allemandes.
Et tout ceci s'enchaine au Japon plus qu'ailleurs dans un rythme déshumanisé, autonome, qui broie les hommes et les âmes.
Egarés, ébêtés dans ce mouvement perpétuel sans sens, deux êtres se croisent sur une fréquence basse : Bill Murray est un vieil acteur qui tourne une pub aux poses ridicules et aux couleurs d'ice tea aux glaçons de plastique pour le lancement d'un wisky au Japon ; Scarlett Johansson est une jeune étudiante, qui accompagne son mari, adepte de la "branchitude est une fin en soi".
Elle est nature, intelligente, a le charme pur de la jeunesse. Il est fin, poli par la vie et désabusé par la routine.
La suite est un jeu d'esprit, de maîtrise, de bonheur, d'intuition, follement d'intuition.
Les mots sont banals car encore de trop.
Leurs regards vous transpercent.
Scarlett a la beauté du bonheur qu'elle traverse. La présence de l'autre suffit.
Le temps est assassin mais magnifie ces secondes comme autant de jours intenses où la vie n'a pas de prix, où la vie n'a pas de prise.
00:55 Publié dans A voir | Lien permanent | Commentaires (8) | Tags : cinema, copolla, sofia, murray, johansson, film
20/03/2006
Les Boucherts Verts (De Gronne slagtere)
Nous sommes loin d'Hollywood, des manequins siliconnés, des voitures de sport et de l'hémoglobine vulgaire.
Anders-Thomas Jensen est danois. Il décrit deux seconds bouchers, n'ayant jamais quitté les arrières salles, souvent froides, de la boucherie de leur patron tyranique. Le tableau de ces vies médiocres et vassales semble figé comme les figures aux reflets de gelée de paté de tête de ces deux lambdas de la société moderne. Svend sue au travail, Bjarne rêve d'ailleurs, et ils se retrouvent pour leur barbecue dominical, pour manger... de la viande grillée. La ville est grise et leur banlieue maussade. Vies dignes d'un ciel danois.
Pourtant Svend est ambitieux, taraudé par la volonté de faire quelque chose de son existence, quelles qu'en soient les conséquences. Que pourrait-il vraiment perdre d'aillleurs ?
Les débuts sont catastrophiques jusqu'à ce que leur ancien chef leur lance un défit.
L'art cinématographique est finement manipulé. L'atmosphère et les couleurs vont de paire dans des tons verts grisatres, ternes. Les personnages sont comme tirés d'une bande déssinée. Ils expriment à la perfection leur caractère, défauts, faiblesses mesquines, en fait leur humanité, leur chaleur intérieure, parfois étourdie par leur volonté de changer le destin, souvent tout simplement bonne.
Svend a une chemise à manches courtes et à losanges gris, une cravatte grise trop courte au noeud insignifiant et un pantalon gris-bleu à soufflets sans ceinture. Son front lui mange le visage et son crane chauve à moitié semble le prolonger jusqu'à la perpendiculaire.
Les clients ont le teint vert de gris sous des chapeaux de vieilles ridicules de mauvais goût et des manteaux de vieux tristes comme leurs pensées.
La puissance du film au-delà de l'humour, de la prouesse de réalisation et d'acteurs, réside dans une morale qui manque souvent à nos générations : croire en soi, travailler et faire les choses avec passion. Svend est un fou de boucherie, Bjarne croit suffisamment en lui pour le suivre très loin, le succès n'a besoin d'aucun autre apparat.
Vivre avec passion, croire en soi, faire les choses avec un soucis d'exigence permanente... Film à voir, incontestablement.
08:45 Publié dans A voir, Zorreurs | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Gastronomie
24/02/2005
Une affaire de goût : un beau film de Bernard Rapp
Je n'apprécie pas particulièrement Bernard Giraudeau souvent un peu transparent dans des rôles trop classiques pour lui, mais là, chapeau bas ! L'acteur est au zénit de son art et le scénario taillé sur mesure, à la fois fin et délicieusement trouble. Jeu d'esthètes, une affaire de goût voit se cotoyer Bernard Giraudeau, riche chef d'entreprise passionné de gastronomie et Jean-Pierre Lorit dans le rôle de son "goûteur", sorte de bras droit de bon goût, seul à même de partager la sensibilité de son patron.
Cynique et raffiné, le riche homme d'affaires construit au grès des expériences sensibles qui jalonnent l'apprentissage de son "goûteur" un sosie à même de partager toutes ses sensibilités.
Tour à tour complice, consommateur de sensations par procuration et sadique, Bernard Giraudeau alterne les psychologies d'un personnage qui lui colle au physique. Les traits du visage, les dents, le sourire et la démarche traduisent à la perfection un scenario que Gilles Taurand a su travailler en profondeur psychologique à la demande de Bernard Rapp.
On sent un homme désemparé qui a fait le tour de l'argent, du pouvoir et de l'amour plastique et qui ne vibre plus que par l'exigence et la perfection extrêmes des mets de la table et des échanges de l'esprit.
Son dialogue avec le jeune Lorit devient intuitif, fusionnel, intelligent. Mais cette recherche de perfection est-elle raisonnable dans un monde aussi lointain que médiocre ?
Quelle belle adaptation du livre de Philippe Balland. Bravo monsieur Rapp !
PS : ce film a reçu le Grand Prix du festival du film policier de Cognac.
09:30 Publié dans A voir | Lien permanent | Commentaires (3) | Tags : Gastronomie