07/01/2008
Dialogue avec mon Jardinier, Jean Becker, Henri Cueco
Si vous devez pleurer à la fin d'un très beau film, il faut le faire, sans retenue, comme sur les accords du blues du siffleur.
Provincial, j'ai connu tout petit la vie des campagnes françaises, ardéchoises et lozériennes en l'occurrence (les patois et expressions typiquement locales, les fruits et légumes de potagers, aux odeurs puissantes, aux goûts intenses, les chiens de garde ou d'accueil, comme vous préférez, petits roquets, blancs et noirs ébouriffés, les champignons, les lapins cuits au sang accompagnés de pommes de terre bouillies, les habits de travail taillés dans les mêmes tissus démodés,..). C'est une belle histoire française, enracinée dans la langue, les traditions, l'amitié, la solidarité, la nature, la vie simple, le temps qui passe avec lenteur et bonheur.
La langue, c'est un français de relief, qui dessine des images dans la tête, avec toutes leurs dimensions, qui fait naître des souvenirs, des odeurs, des sourires. Henri Cueco a su cueillir et restituer cette beauté du patrimoine français, sans raccourcis, sans laque, sans édulcorant ou colorant.
Quand j'entends "Dujardin" - surnom du personnage interprété par Jean-Pierre Darroussin - expliquer à "Dupinceau" - Daniel Auteuil - pourquoi il enlève ses bottes avant d'entrer dans la maison, je comprends le dialogue dans toutes ses dimensions. Appréciez plutôt : "la terre reste incrustée dans les semelles et avec le chaud dans la cuisine, ça laisse des gauffres".
Cueco concentre ici à la perfection tout l'humour du parler vrai de la campagne française, où l'on est heureux de vivre, quelles ques soient les vicissitudes de la vie.
Dupinceau - surnom de l'artiste peintre - fuit la superficialité parisienne, ce que j'appelle parfois la "tendancitude", the "last vibe"..
Il s'installe à la campagne suite à la disparition de ses parents et son début de divorce et décide de faire renaître le jardin de ses parents autrefois si beau. C'est la priorité, et en particulier le potager, qui l'inspire, lui donne les couleurs, les senteurs, la beauté des alignements, la disparité des espèces. Il engage un jardinier pour réaliser ce travail et retrouve un ami de tendre enfance, local pure souche.
La complicité et la convivialité vont renaître comme s'ils s'étaient quittés hier, autour d'un petit coup de Chirouble. Et dans cette vérité, Dupinceau explique qu'il a choisit de suivre ses envies, de se réaliser pour ne pas ré-éditer l'erreur de son père, pharmacien à vie et fidèle aux règles matrimoniales imposées par sa femme : "mon père lui, il n'aurait pas osé dire non. Ses aspirations d'artiste, il se les ai gardées.."
Et Dupinceau poursuit en expliquant à son ami qu'il peint ce qu'il ressent en regardant et non ce qui se voit : "je peins moins ce que je vois que ce que j'imagine". Dujardin après un réflexe de bon sens "c'est quand même étonnant de sortir dehors pour peindre ce qu'on ne voit pas", interprète sur son registre, le vécu : "l'océan, on le voyait sans le voir, mais à l'odeur on le devinait". La maturité de l'artiste parisien est étourdissante, et fait écho aux Rousseau et Chateaubriand en référence au bonheur : "avoir la volonté de bien prendre son temps et de regarder autour de soi".
Mais le bonheur de Dujardin est dans le prévisible, la douce routine, le temps cyclique des bons moments, qui touche doucement à l'ennui : "ça me fait bizarre de faire dimanche au milieu de la semaine". Dupinceau adapte ses activités à son envie : "laisse-toi vivre, merde !".
Dujardin reste dans le registre du vécu : "la peau d'une femme, c'est des choses qu'on voit sans dire qu'on les regarde". Dupinceau conclue brillemment sur le pourquoi et le comment lire une oeuvre d'art : "aucune envie de t'expliquer ; ressentir ! y a des profs pour expliquer !"
Le temps du lendemain, Dujardin le prévoit à coup sûr. Quand Dupinceau lui demande une explication, ce qu'il faut regarder dans le ciel : "tu gardes tes secrets sur le temps ?", la réponse est à propos "tu ne dis pas ce que tu regardes quand tu peins".
La vie joue ici dans les couleurs réelles et les sentiments entiers : Dujardin n'aime pas l'électricien choisi par Dupinceau, mais quelques jours plus tard, on apprend qu'il lui reconnaît de bien travailler. On est loin du fleuret moucheté faux-cul de la capitale, le politiquement correct mortifiant. Ici, on se met parfois "deux, trois poignées d'beigne sur le museau". Et lorsque l'on parle de salade, on entame un sujet à la diversité immense : "il y en a autant de variétés qu'un curé peut en bénir, fils de loup, tu vas pas être déçu".
Et le potager, c'est l'expression de l'amitié, du travail bien fait, de l'art dans la nature, la main de l'homme accompagné du mouvement de la nature. Le cadeau magnifique, c'est un beau légume, élevé avec amour et patience : "demain, je t'apporte un choux-fleur, mais alors, le choux-fleur bichonné, ni poux, ni saloperie !"
L'urbanisme est un poison, "oh la la, vous êtes combien à rouler en même temps ?". Le bonheur n'a pas besoin de tous ces artifices et Dujardin en est sûr : "vivre en ville rend fragile".
Mais le bonheur est l'affaire des mortels et les belles histoires ont une fin. Aussi, vaut-il "mieux mourir d'un coup, on arrive au ciel en meilleure forme" remarque Dujardin.
Il profite donc de ces moments, allongé au milieu des rangs de poivrons et de haricots car jardiner, c'est sa vraie vie. Il est au sommet de sa passion, à l'apogée de son art : "J'ai jamais fait des légumes aussi beaux, on dirait que ça leur plaît de voir leur jardinier couché avec elles".
Messieurs Cueco et Becker, je vous remercie pour ce bonheur d'une heure cinquante. L'un des plus beaux films qu'il m'ai été donné de voir !
Mon appréciation : 10/10 !
08:05 Publié dans A voir | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : Dialogue avec mon Jardinier, Jean Becker, Henri Cueco